Depuis 70 ans, notre système agricole de plus en plus intensif entraîne une diminution importante des nutriments présents dans nos assiettes. Un vrai problème pour le nombre croissant de personnes qui adoptent une alimentation essentiellement végétale.
Lorsque vous regardez les rangées colorées de fruits et légumes dans votre épicerie, vous ne savez peut-être pas que la quantité de nutriments contenus dans ces produits est en constante diminution depuis soixante-dix ans.
Un nombre croissant d’études scientifiques montrent que de nombreux fruits, légumes et céréales cultivés aujourd’hui contiennent moins de protéines, de calcium, de phosphore, de fer, de riboflavine (ou vitamine B2) et de vitamine C que ceux qui étaient cultivés il y a plusieurs décennies. Ce sujet est particulièrement important si un nombre croissant de personnes adoptent une alimentation essentiellement végétale, comme les experts le recommandent de plus en plus pour la santé publique et la protection de la planète.
La baisse de la teneur en nutriments « laissera à notre corps une moindre quantité des composants qui lui sont nécessaires pour se défendre contre les maladies chroniques, ce qui réduira la valeur de l’alimentation en tant que médecine préventive », explique David R. Montgomery, professeur de géomorphologie à l’université de Washington à Seattle, et coauteur avec Anne Biklé de l’ouvrage What Your Food Ate.
Même pour les personnes qui évitent les aliments transformés et qui privilégient les produits frais, cette tendance signifie que « ce que nos grands-parents mangeaient était plus sain que ce que nous mangeons aujourd’hui », affirme Kristie Ebi, spécialiste du changement climatique et de la santé à l’université de Washington à Seattle.
Selon les scientifiques, l’origine du problème réside dans les procédés agricoles modernes qui augmentent le rendement des cultures mais perturbent la santé des sols. Ce sont notamment les méthodes d’irrigation, de fertilisation et de récolte qui bouleversent les interactions essentielles entre les plantes et les champignons du sol, ce qui réduit l’absorption des nutriments qui poussent dans celui-ci. Ces problèmes surviennent dans un contexte de changement climatique et d’augmentation des niveaux de dioxyde de carbone qui réduisent également la teneur en nutriments des fruits, légumes et céréales.
Selon les experts, il est important de relativiser ces baisses et de ne pas laisser cette nouvelle vous dissuader de manger une variété de fruits, de légumes et de céréales complètes pour prendre soin de votre santé. Ils espèrent toutefois que ces résultats inciteront davantage de personnes à s’intéresser à la façon dont leurs aliments sont cultivés.
« La plupart des gens savent que ce que nous mangeons est important. Si la façon dont nos aliments sont cultivés a également de l’importance, cela donne une nouvelle raison convaincante au citoyen moyen de se préoccuper des pratiques agricoles », déclare Montgomery. « Nous ne pouvons pas nous permettre de perdre des terres arables alors que la population augmente. Nous devons empêcher de nouveaux dégâts et travailler à restaurer la fertilité des terres qui sont déjà dégradées. »
LE SEUIL DES RENDEMENTS DÉCROISSANTS
L’une des plus grandes études scientifiques à attirer l’attention sur ce sujet a été publiée dans le numéro de décembre 2004 du Journal of the American College of Nutrition. À l’aide des données du Département de l’Agriculture des États-Unis (USDA) sur les nutriments publiées en 1950 et 1999, des chercheurs de l’université du Texas à Austin ont remarqué des changements dans treize nutriments, et ce dans quarante-trois cultures de jardin différentes : des asperges aux haricots verts, en passant par les fraises et les pastèques.
Ces fruits et légumes crus présentaient une baisse des protéines, du calcium et du phosphore, qui sont essentiels à la formation et au maintien d’os et de dents solides ainsi qu’au bon fonctionnement des nerfs. Ont également été constatées une baisse de la teneur en fer, indispensable au transport de l’oxygène dans tout l’organisme, et en vitamine B2, essentielle pour le métabolisme des graisses et des médicaments. Les niveaux de vitamine C, importante pour la croissance et la réparation des différents tissus de l’organisme et pour la fonction immunitaire, ont également diminué.
Le taux de diminution varie en fonction des nutriments et du type de fruit ou de légume, mais il se situe généralement entre 6 % pour les protéines et 38 % pour la vitamine B2. La teneur en calcium a notamment chuté de façon spectaculaire dans le brocoli, le chou kale et les feuilles de moutarde, et la teneur en fer a subi une baisse importante dans les blettes, les concombres et les feuilles de navet. Les asperges, les choux, les feuilles de moutarde et les feuilles de navet ont également perdu des quantités considérables de vitamine C.
Depuis, d’autres travaux ont confirmé que les niveaux de nutriments sont en déclin. Une étude publiée en janvier 2022 dans la revue Foods a révélé que, si la teneur en fer de la plupart des légumes cultivés en Australie était relativement similaire entre 1980 et 2010, certains légumes présentaient des baisses notables. Des diminutions de la teneur en fer, pouvant aller de 30 à 50 %, ont été constatées pour le maïs doux, les pommes de terre à peau rouge, le chou-fleur, les haricots verts, les petits pois et les pois chiches. En revanche, les avocats Hass, les champignons et la betterave argentée (ou bette à carde) ont vu leur quantité de fer augmenter.
Selon les experts, les céréales ont également connu un déclin. Une étude publiée en 2020 dans la revue Scientific Reports a révélé que la teneur en protéines du blé a diminué de 23 % entre 1955 et 2016, et que les teneurs en manganèse, en fer, en zinc et en magnésium ont aussi considérablement diminué.
Ces baisses alarmantes ont également des répercussions sur les consommateurs de viande. Les vaches, les porcs, les chèvres et les agneaux se nourrissent désormais d’herbes et de céréales moins nutritives, ce qui rend par conséquent la viande et les autres produits d’origine animale moins nutritifs qu’auparavant, selon Montgomery.
POURQUOI UN TEL DÉCLIN ?
De nombreux facteurs contribuent à ce problème. Le premier est lié aux pratiques agricoles modernes qui sont conçues pour augmenter le rendement des cultures.
« En apprenant à faire pousser des plantes plus grandes plus vite, celles-ci ne sont pas en mesure de suivre le rythme d’absorption des nutriments du sol ou de synthétiser les nutriments en interne », explique Donald R. Davis de l’université du Texas à Austin. Ce chimiste et chercheur en nutrition à la retraite était l’auteur principal de l’étude révélatrice de 2004, et a également participé à l’écriture d’articles sur ce sujet par la suite.
Un rendement plus élevé implique que les éléments nutritifs du sol doivent être répartis sur un volume de cultures plus important donc, dans les faits, les éléments nutritifs produits par ces fruits et légumes sont dilués. « Malheureusement, les agriculteurs sont payés par rapport au poids de leurs récoltes, ce qui les incite à faire des choses qui ne sont pas bonnes pour la teneur en nutriments », ajoute Davis.
Un autre coupable sont les dégâts que les cultures intensives causent au sol. Le blé, le maïs, le riz, le soja, les pommes de terre, les bananes, les ignames et le lin bénéficient tous et toutes d’une association avec des champignons qui améliore la capacité des plantes à accéder aux nutriments et à l’eau du sol. Les « champignons agissent comme des extensions de racines pour la plante », explique Montgomery. Mais l’agriculture intensive épuise le sol, ce qui, dans une certaine mesure, compromet la capacité des plantes à former des partenariats avec les champignons mycorhiziens, ajoute le professeur.
L’augmentation des niveaux de dioxyde de carbone dans l’atmosphère nuit également à la qualité nutritionnelle de nos aliments.
Toutes les plantes ont des mécanismes de photosynthèse qui leur permettent d’absorber le dioxyde de carbone de l’atmosphère, de le décomposer et d’utiliser le carbone pour se développer, explique Ebi. Mais lorsque des cultures comme le blé, le riz, l’orge et les pommes de terre sont exposées à des niveaux plus élevés de dioxyde de carbone, elles génèrent davantage de composés à base de carbone, ce qui entraîne une teneur plus élevée en hydrates de carbone (ou glucides). En outre, lorsque les concentrations de dioxyde de carbone sont plus élevées, les cultures aspirent moins d’eau, « ce qui signifie qu’elles absorbent moins de micronutriments du sol », précise Ebi.
Des expériences décrites dans Science Advances en 2018 ont confirmé que les concentrations de protéines, de fer, de zinc et de plusieurs vitamines B diminuaient dans dix-huit types de riz après une exposition à des niveaux plus élevés de dioxyde de carbone.
UNE MENACE POUR LA SANTÉ PUBLIQUE
Soyons clairs : les fruits, les légumes et les céréales complètes comptent toujours parmi les aliments les plus sains de notre planète, mais les consommateurs ne reçoivent peut-être pas les nutriments qu’ils attendent des aliments d’origine végétale. Et si ces déclins se poursuivent, certaines personnes pourraient avoir davantage de risques de développer des carences en certains nutriments ou d’être moins à même de se protéger des maladies chroniques grâce à une bonne alimentation, selon les experts.
Bien que ces baisses de nutriments touchent tout le monde, certaines personnes sont plus susceptibles d’en subir les conséquences négatives.
« Le blé et le riz représentent plus de 30 % des calories consommées dans le monde », note Ebi. « Toute personne dont le régime alimentaire repose en grande partie sur ces céréales, en particulier les populations à faible revenu, pourrait être affectée par la diminution de la consommation de protéines, de vitamines B et de micronutriments [dans ces céréales]. Ces changements alimentaires pourraient entraîner des carences, comme l’anémie ferriprive chez les femmes et les jeunes filles. »
Il s’agit d’une préoccupation majeure dans les pays qui sont déjà aux prises avec une grave insécurité alimentaire, ajoute Chase Sova, directeur principal des politiques publiques et de la recherche pour le Programme alimentaire mondial des États-Unis.
« Pas moins de trois milliards de personnes sur la planète, dont la plupart dans les pays à revenu faible ou intermédiaire, ne peuvent pas se permettre une alimentation saine régulière. Et au moins deux milliards souffrent de ce que l’on appelle la faim invisible, puisque des micronutriments essentiels manquent dans leur régime alimentaire », explique Sova. « Ces personnes ne peuvent pas se permettre des baisses supplémentaires de nutriments dans les aliments d’origine végétale. »
Peu importe qui les mange, les aliments qui contiennent moins de nutriments peuvent également manquer d’un autre attribut important : la saveur. Un grand nombre de composés bénéfiques pour la santé confèrent également du goût aux aliments, donc certaines des évolutions dans les pratiques agricoles qui sont responsables de la baisse des niveaux de nutriments sont les mêmes qui contribuent à leur saveur très moyenne (oui, on parle bien de ces fameuses tomates et carottes fades du magasin).
LES SOLS : COMMENT RETROUVER LES NUTRIMENTS ?
Malheureusement, compte tenu de la trajectoire actuelle des changements mondiaux, il est peu probable que les niveaux de nutriments dans les produits ne s’améliorent de si tôt.
En se basant sur les prévisions de concentrations de dioxyde de carbone dans l’atmosphère d’ici 2050, les scientifiques estiment que la teneur en protéines des pommes de terre, du riz, du blé et de l’orge devrait encore diminuer de 6 à 14 %, selon une étude publiée en 2017 dans Environmental Health Perspectives. En conséquence, dix-huit pays, dont l’Inde, pourraient perdre plus de 5 % de leurs protéines alimentaires.
La question de savoir si les produits biologiques sont plus nutritifs que les produits cultivés de manière conventionnelle fait l’objet d’un débat permanent. Selon certains scientifiques, ce débat n’a toutefois pas vraiment d’importance puisque les pratiques agricoles et l’exposition environnementale au dioxyde de carbone sont trop liées entre elles.
Selon Montgomery, les effets des pratiques agricoles sur la santé des sols constituent un meilleur angle d’approche pour évaluer la teneur en nutriments des cultures. La plupart des études qui comparent les produits issus de l’agriculture conventionnelle et ceux issus de l’agriculture biologique ne tiennent pas compte de la santé des sols qui, selon lui, est le facteur le plus important.
L’une des stratégies pour apporter de l’amélioration aux sols consiste à recourir à l’agriculture régénératrice : un ensemble de pratiques qui permettent de restaurer la fertilité des sols. Une étude publiée en janvier 2022 dans PeerJ: Life & Environment montre que les pratiques d’agriculture régénératrice produisent des cultures qui présentent des améliorations en termes de matière organique présente dans le sol, d’état de santé du sol, mais aussi des niveaux plus élevés de certaines vitamines, minéraux et composés phytochimiques.
La première étape consiste à interférer le moins possible avec le sol, et à réduire le labour, une pratique qui entraîne l’épuisement des minéraux. La plantation de plantes de couverture (qui sont cultivées pour recouvrir le sol afin de le protéger) comme le trèfle, le ray-grass ou la vesce peut aider en protégeant le sol de l’érosion et en empêchant la croissance des mauvaises herbes. Effectuer une rotation dans les types de plantations dans chaque champ peut également améliorer la teneur en nutriments des cultures plantées par la suite.
Cependant, dans la plupart des cas, la chose la plus saine que le consommateur moyen puisse faire est de continuer à manger un large éventail de produits. « Nous ne parlons pas ici d’une baisse de 50 % de la densité nutritionnelle, donc si vous consommez une variété de fruits et légumes de couleurs différentes, vous continuerez à satisfaire vos besoins nutritionnels », déclare Kristi Crowe-White, professeure associée de nutrition à l’université d’Alabama et experte membre de l’Institute of Food Technologists.
Par exemple, il est très peu probable que tout ce que vous mangez soit dépourvu de bêta-carotène, que le corps transforme en vitamine A. « En mangeant une variété de fruits et de légumes, vous compenserez certaines de ces pertes de nutriments », dit-elle.
« Dans l’ensemble, les gens devraient manger plus de fruits, de légumes et de céréales complètes afin d’optimiser leurs effets sur la santé humaine », ajoute Montgomery. Dans ce cas, la variété n’est pas seulement le sel de la vie, elle peut également vous aider à développer et à récolter une meilleure santé.