Hypoxie silencieuse : quand le coronavirus appauvrit l'organisme en oxygène
Hypoxie silencieuse : quand le coronavirus appauvrit l'organisme en oxygène
Ce symptôme inquiétant appauvrit le sang des patients en oxygène avant même qu'ils ne s'en rendent compte. Pour les médecins, il faut comprendre ce phénomène, et vite.
Debout dans le salon de son patient, Mari Seim était perplexe. Tombé malade une semaine plus tôt, l'homme présentait des symptômes grippaux. Face à l'augmentation de son rythme respiratoire, sa fille avait décidé d'appeler le centre médical de Taarnaasen, la clinique où travaille Seim en tant que médecin généraliste, non loin d'Oslo en Norvège. COVID-19 en tête, Seim est partie l'ausculter, loin d'imaginer ce qu'elle allait découvrir.« Il était assis dans un fauteuil et il souriait, » se souvient-elle. « Il n'avait pas l'air d'avoir une gêne quelconque. »
Pourtant, ses respirations s'enchaînaient rapidement, près de trois fois le rythme normal. Ses lèvres et ses doigts étaient légèrement bleutés. Ce n'est qu'après avoir mesuré son taux de saturation en oxygène dans le sang que Seim réalisa à quel point il était malade. La normale voudrait qu'il se situe bien au-dessus de 90 %, mais l'appareil de Seim affichait 66 %. Pendant une fraction de seconde, Seim pensa même qu'elle le tenait à l'envers. Elle revérifia. L'affichage n'avait pas changé. Elle appela immédiatement une ambulance.
Le patient semblait atteint d'un trouble répandu mais initialement négligé de la maladie à coronavirus : une hypoxie silencieuse. Contrairement à de nombreuses maladies respiratoires, le COVID-19 peut lentement appauvrir l'organisme en oxygène sans causer d'essoufflement dans un premier temps. Avant même que les patients n'éprouvent des difficultés à respirer ou ne ressentent une pression au niveau de la poitrine, deux des symptômes listés comme signes précurseurs, ils sont déjà dans un état grave.
L'hypoxie silencieuse a surpris de nombreux docteurs. Certains patients arrivent avec des niveaux si faibles en oxygène que le personnel soignant s'attendrait à ce qu'ils soient incohérents ou en état de choc. Au lieu de cela, ils sont éveillés, calmes et réactifs. Ils discutent avec les médecins, utilisent leur téléphone. Même si les scientifiques comprennent les principes physiologiques qui expliquent que ces patients ne soient pas immédiatement essoufflés, ils tentent encore de saisir avec précision comment le COVID-19 affecte l'organisme et pourquoi cette maladie, en particulier, peut silencieusement vous priver de souffle.
LES CAUSES DE L'ESSOUFFLEMENT
Bien souvent, l'essoufflement est synonyme de perte d'élasticité dans les tissus pulmonaires. Bon nombre de maladies des voies respiratoires peuvent raidir les poumons en raison d'une inflammation, d'une cicatrisation ou de l'accumulation de fluides et de pus. Cette raideur peut entraver le mouvement des soufflets dans notre thorax et ainsi donner l'impression que l'air est expulsé en dehors du corps.
La rigidité pulmonaire affecte également la capacité d'un patient à chasser le dioxyde de carbone et l'accumulation de ce gaz est un puissant déclencheur de notre envie pressante d'inspirer. Les niveaux de dioxyde de carbone se situent généralement dans une fourchette étroite. S'ils augmentent, notre cerveau reçoit un message d'alerte : la sensation d'essoufflement.
Pour beaucoup de malades du COVID-19, il semblerait qu'aucun de ces signaux ne se déclenche dans les premières phases de la maladie, indique Cameron Baston, pneumologue et spécialiste des soins intensifs au Penn Medicine. Lorsque la maladie apparaît, les poumons d'un grand nombre de patients restent élastiques, comme un ballon, ce qui leur permet de respirer librement. À mesure que leur taux d'oxygène diminue, leur rythme respiratoire augmente pour compenser, ce qui expulse énormément de dioxyde de carbone. Le résultat est une hypoxie discrète qui mène, chez certains patients, à des niveaux d'oxygène dangereusement faibles sans toutefois que l'augmentation de dioxyde de carbone n'alerte l'organisme comme elle le ferait normalement.
« Dans la quasi-totalité des expériences cliniques dont disposent les médecins, les problèmes pulmonaires impliquent à la fois des problèmes d'absorption d'oxygène et d'élimination du dioxyde de carbone, » explique Richard Levitan, médecin en soins intensifs qui s'est porté volontaire pendant dix jours pour traiter la pneumonie COVID-19 au Bellevue Hospital de New York. « Cette maladie est différente. »
Levitan précise que l'hypoxie silencieuse a déjà été observée par la communauté médicale chez les alpinistes et les pilotes. En gagnant de l'altitude, la pression atmosphérique diminue, ce qui implique une présence réduite des molécules d'oxygène disponibles pour le souffle, mais la rapidité de la respiration provoque toujours une expulsion du dioxyde de carbone. Il insiste sur le fait que les causes, et donc les traitements, des maladies dues à l'altitude et du COVID-19 sont radicalement différents, contrairement à ce que laissent entendre certaines publications. Cela dit, l'une des réactions de l'organisme face à la réduction d'oxygène, la respiration rapide, est similaire.
Ce processus a également été étudié chez les pilotes qui s'entraînent dans des chambres hypoxiques, pauvres en oxygène, pour reconnaître les symptômes subtils de l'hypoxie silencieuse, en cas de dépressurisation de la cabine en vol, explique William Ottestad, spécialiste en médecine hypoxique et médecin au service Forces spéciales norvégiennes. « On la surnomme également la mort silencieuse en raison de sa nature insidieuse, » ajoute-t-il. Une perte soudaine de pression dans la cabine peut faire perdre conscience aux pilotes et provoquer un crash.
Dans ces situations, la faible concentration en dioxyde de carbone induite par la respiration rapide pousse l'oxygène à se fixer plus fermement sur l'hémoglobine, la protéine qui transporte l'oxygène au sein des globules rouges. Cela implique qu'un volume d'oxygène supérieur peut être fourni aux tissus qui le nécessitent tant que le cœur continue de battre énergiquement, explique Ottestad, également anesthésiste au sein du service d'ambulance aérienne de l'hôpital de l'université d'Oslo.
Il existe peut-être un parallèle entre ce que vivent les patients atteints du COVID-19 et les pilotes. Les patients au rythme respiratoire important maintiennent souvent une fonction cardiaque correcte aux premiers stades de la maladie ; leur cœur est donc toujours capable de pomper et redistribuer le sang. Ottestad suggère que sans leurs faibles niveaux de dioxyde de carbone, les patients atteints de la COVID-19 souffriraient peut-être de niveaux d'oxygène encore plus bas que ceux mesurés, ce qui aggraverait encore plus les cas déjà sévères de la maladie.
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https://www.nationalgeographic.fr/sciences/2020/05/hypoxie-silencieuse-quand-le-coronavirus-covid-19-appauvrit-lorganisme-en-oxygene
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